Atlas des paysages du Morbihan

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Des paysages ruraux issus de la révolution agricole bretonne

La révolution agricole de la seconde moitié du XXe siècle en Bretagne, facteur essentiel de compréhension et d’identification des paysages

“On peut se demander ce qu’il reste des paysages de bocage traditionnel et de l’imagerie paysanne d’avant-guerre. De la charretée de foin peinte par Jean Frélaut en 1909 à la cathédrale moderne de l’agro-alimentaire de Saint-Jean-Brévelay, que de chemin parcouru ! Que de mentalités révolutionnées ! Il faudrait maintenant peindre la production, accumuler les chiffres, parler rentabilité et non plus gestes, évaluation, occupation…”
Gérard Le Bouëdec [1]


 Rappel historique régional


Après la Seconde Guerre mondiale, la Bretagne est marquée par un retard et un déclin économique très importants. [2] Faible industrialisation, agriculture semi-autarcique ne générant que de très faibles revenus, solde migratoire déficitaire, taux d’équipement très en dessous de la moyenne nationale en termes d’infrastructures, d’électrification des campagnes, tourisme encore peu développé …
Les élus bretons ainsi que l’ensemble des acteurs économiques et sociaux de la région s’émeuvent alors de cette situation aux retombées humaines, sociales et politiques inquiétantes. Pour « sortir la Bretagne de l’ornière », il est nécessaire que l’Etat intervienne énergiquement et rapidement. Pour peser sur ses décisions est créé en 1950, dans un large consensus qui rassemble l’ensemble des forces politiques (sauf le Parti communiste) et la société civile et économique, le Comité de liaison des intérêts bretons (CELIB) qui, grâce à son influence, engagera l’Etat, non sans difficultés et surtout à partir des années 1960, dans des politiques d’aménagement et d’investissement sans précédent.
Les différents plans régionaux que le CELIB a initiés permettront que soient menées à bien de nouvelles implantations industrielles, l’électrification des campagnes, la construction de routes et l’amélioration des dessertes ferrées. Mais le Comité permettra aussi, par sa représentativité et ses relais, une adhésion quasi-générale des Bretons à la modernisation et la transformation de leur région et de leur paysage, appropriation qui sera une des garanties de son succès.

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Paysage de contraste sur les rives du Blavet à Bieuzy-les-Eaux, vers le Divit
A l’arrière plan, les landes résiduelles, aujourd’hui de plus en plus boisées, rappellent des paysages et des pratiques révolus. Au premier plan, champs ouverts et bâtiments d’élevage de la fin du XXe siècle


Des répercussions sociales, culturelles et territoriales
Dans cette région très rurale où plus de la moitié des actifs au début des années 1950 sont des paysans, le décollage économique passe obligatoirement par la transformation et la modernisation de l’agriculture. Dans un large mouvement initié par les agriculteurs eux-mêmes, appuyés en cela par des associations influentes comme la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) ou des structures de formation comme le Centre d’études agricoles (CETA) ou le Groupement de vulgarisation agricole (GVA), est entreprise une véritable révolution technique, agronomique, structurelle qui va transformer en moins d’une génération la Bretagne en l’une des premières régions européennes de production agricole et d’industrie agro-alimentaire, de plain-pied dans les marchés européens et internationaux.
Les traits principaux de la modernisation de l’agriculture bretonne sont une diminution importante du nombre des exploitations, leur intensification radicale, un recours important à l’élevage hors-sol comme moyen de pallier l’étroitesse des structures des exploitations, l’émergence de structures de productions simplifiées (production laitière et maïs fourrager ; production porcine et culture de céréales…), une spécialisation de la production (lait, œufs, volailles, porcs, légumes…) et, en termes économiques, une dépendance très forte des producteurs aux industriels de l’agroalimentaire, aux politiques européennes et aux conditions du marché provoquant de manière cyclique des crises graves (dont la crise laitière du printemps 2009 est le dernier exemple). Mais au delà des transformations économiques, ce sont toutes les structures sociales, culturelles et territoriales qui vont être bouleversées.

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Agriculture de fond de vallée bocagère près de Limerzel
Malgré les transformations importantes de l’agriculture, ce type de paysage rural (petites parcelles, haies et boisements divers...) est encore très présent dans le Morbihan

Le paysage et l’environnement bretons, supports physiques de cette révolution, portent de manière très visible les marques de ces nouvelles formes de productions agricoles et de transformations. Rares sont les régions françaises qui ont connu une mutation de leurs structures agricoles de manière aussi rapide.
Le paysage en ressort profondément marqué :

- le bocage est discrédité et démantelé car il ne se prête pas à une mécanisation rationnelle et les services qu’il rendait autrefois à l’économie rurale (production de bois de chauffage, de bois d’œuvre…) sont devenus inutiles. Les remembrements - parfois houleux – sont synonymes de suppression de milliers de kilomètres de talus et signent la disparition des petites exploitations peu rentables au profit d’unités plus grandes accessibles aux machines.

- les chemins de terre sont élargis, asphaltés et relient désormais directement la ferme au bourg

- un paysage de type agro-industriel est créé, caractérisé par de longs bâtiments abritant des porcheries ou des poulaillers, des silos et des usines d’aliments, des centrales laitières et des tours de séchage…

- les habitations des agriculteurs se modifient. La maison d’habitation se dissocie de l’exploitation et prend des allures stéréotypées sous l’appellation de maison« traditionnelle bretonne »

- nombre de bourgs et de petites villes se développent sous l’impulsion des établissements de l’industrie agroalimentaire

- les résidences secondaires se développent de manière très importante même au-delà de la ligne littorale

- les conséquences environnementales des pratiques agricoles (usage d’engrais, épandage de lisiers, suppression du bocage…) sont particulièrement importantes (qualité des eaux, eutrophisation des rivières…) et finissent par marquer également le paysage.

Le document ci-dessous (reportage de l’émission « 5 colonnes à la une », issu des archives de l’INA et tourné en 1960 dans le Morbihan) permet d’entrevoir les enjeux de la révolution agricole bretonne :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF89020434/le-malaise-paysan-a-plumelec-en-morbihan.fr.html

 L’agriculture du Morbihan dans le contexte breton


Les bouleversements de l’agriculture morbihannaise se sont déclinés selon les mêmes grands processus que ceux décrits plus haut à l’échelle régionale.

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Plateau de Pontivy-Loudéac
L’apparition erratique de grands silos contribue ici à donner une vocation utilitaire aux plateaux remembrés que les hameaux et les bâtiments d’exploitation peinent à structurer. Les haies rares se trouvent auprès des habitations et le long des rus. L’implantation récente de nombreuses éoliennes s’inscrit également dans cette tendance "utilitaire".

Dans le Morbihan, le basculement vers une agriculture fortement intensifiée et intégrée se traduit par une forte diminution du nombre d’exploitations qui a diminué de plus de 70 % entre 1955 et 1998. L’agriculture représentait ainsi en 1999 7,7 % des 239 000 emplois du Morbihan (même pourcentage que la moyenne régionale). Le département s’est profondément spécialisé dans la production avicole et porcine qui a progressé de plus de 50 % entre 1990 et 2000. La production de lait est également très importante.

Les principales productions animales [3]

- La production laitière (6e rang français 10,6 millions d’hl)

- L’aviculture : 36 % de la production bretonne (1er rang français)

- L’élevage porcin (3e rang français, après les Côtes-d’Armor et le Finistère, 1,35 millions de têtes)

- Les bovins à viande (10e rang veaux de boucherie, 47 000 têtes)

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Vaches au pré
Les bovins animent davantage les paysages que les porcs ou les volailles.

Les principales utilisations des surfaces agricoles

Malgré une diversité de production, prairies, blés et maïs occupent de loin les plus grandes surfaces du département. La carte des surfaces en herbe, qui coïncide assez bien avec celle du bocage (voir la carte), correspond à peu près partout à l’inverse de celle du blé. Le maïs, en revanche, se trouve dans des situations plus variées, s’insérant dans les parcelles de bocage, profitant des plaines alluviales ou accompagnant les autres cultures céralières comme au nord de Josselin.

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Surfaces occupées par les prairies (permanentes ou temporaires)
Des surfaces importantes dans le plateau de Cornouaille intérieure, mais aussi dans tout le sud-est du département.
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Les surfaces en blé
Les principales surfaces concernées sont sur le plateau de Pontivy-Loudéac
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Les surfaces en maïs
Une répartition qui traduit l’influence de facteurs plus complexes

L’abondance des bâtiments agricoles, notamment pour l’élevage
En 2007, la construction de bâtiments agricoles occupe la première place en surface dans le Morbihan (hors logement). Parmi ces constructions, les grands bâtiments d’élevage aux formes caractéristiques sont un élément fréquent des paysages.

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Les bâtiments agricoles
Une concentration particulière dans le centre du département
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Bâtiments d’élevage groupés
Avec leurs formes stéréotypées et leurs silos, ces bâtiments sont devenus une composante architecturale fréquente des paysages ruraux.

 L’influence des activités de pêche et conchyliculture


Alors que les activités nautiques de loisir s’expriment nettement dans les paysages littoraux [4], la pêche professionnelle contribue plus modérément à leur animation par la présence et les mouvements des bateaux ou par ses installations au sol.

A Lorient, Keroman, le principal port de pêche du Morbihan représente une activité non négligeable avec des volumes de prises comparables aux autres ports bretons [5]. Mais il n’occupe qu’une place modeste dans l’ensemble portuaire de la rade auquel il contribue.

Comparativement, les activités plus modestes de la pêche à Quiberon sont plus sensibles dans le paysage : installations à terre, bateaux à quai ou au mouillage offrent des images d’une activité bien identifiée et vivante, tout au long de l’année. De même, les ports de pêche du Golfe ou des îles accrochent toujours le regard avec quelques bateaux identifiés par leurs formes, leurs dimensions, leurs itinéraires.

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Le port de pêche de Lorient
Avec environ 17000 tonnes de poissons par an et son implantation à proximité des autres activités portuaires, l’activité de pêche de Lorient se fond dans le paysage plutôt industriel de la rade.
(photo Julien Danielo http://pasforcementloin.blogspot.com/)

Alors que Lorient reste un port de pêche en partie tourné vers le large, tous les autres ports de pêche ont une activité principalement côtière qui contribue aussi à l’animation touristique et aux ambiances de vacances : arrivages fréquents, vente locale, parcours de démonstration (pêche au bar).

La conchyliculture et ses installations à fleur d’eau ou découvertes à marée basse est une activité qui entre plus directement en composition avec les espaces naturels. A cet égard, le Morbihan est caractérisé par des surfaces ostréicoles importantes et assez réparties le long du littoral. Les rias d’Étel et de Pénerf, la baie de Quiberon, le Golfe, l’estuaire de la Vilaine constituent les principaux sites mais la plupart des communes littorales possèdent des parcs de quelques hectares.

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Installations ostréicoles
Comme les marais salants en d’autres lieux, les parcs ostréicoles expriment des paysages différents selon le remplissage des parcs et créent des ambiances calmes, de nature maîtrisée.
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Activités ostréicoles sur la rivière de Saint-Philibert
Les caisses en attente de chargement et les diverses installations qui bordent les excavations donnent au passant les clés d’interprétation d’un paysage largement remodelé par l’activité.
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Casiers au bord de la ria d’Étel
Le motif géométrique des installations conchylicoles agrémente de nombreses côtes des rias morbihannaises auxquelles il apporte un surcroît de diversité.

Notes

[1In : Le Morbihan, de la Préhistoire à nos jours, Gérard Le Bouëdec (dir.), Bordessoules, 1994, p. 470.

[2Cette synthèse est le résultat de la consultation de sources nombreuses et variées (ouvrages de référence, encyclopédies, articles de revues, ...). Citons parmi celles-ci plus particulièrement Histoire de la Bretagne et des Bretons de Joël Cornette édité au Seuil en 2005, Le Morbihan, de la Préhistoire à nos jours dirigé par Gérard Le Bouëdec paru aux éditions Bordessoules et plus précisément les articles de Henri Baudequin, Agnès Guellec, Yvonig Gicquel, de nombreux articles sur le CELIB dont notamment celui de Jacqueline Sainclivier intitulé Du CELIB à la région Bretagne : réussite et limites d’une affirmation identitaire paru dans les Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n°111-4, 2004.

[3Chiffres 2007. Source : DDAF du Morbihan

[4Voir le paragraphe consacré aux ports et mouillages dans Paysages et tourisme : un mécanisme d’influences mutuelles

[5Sources :
Pour une illustration de l’importance économique des ports de pêche en Bretagne, voir cette carte de l’Ifremer publiée sur le site bretagne-environnement
Une analyse plus détaillée des activités portuaires peut être obtenue directement sur le site de l’Ifremer dans les documents pdf de synthèse de l’activité par quartier maritime


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