Une valeur paysagère à inscrire dans la planification territoriale
Un enjeu du développement consiste à identifier près des côtes des continuités paysagères, dont la valorisation offre au projet urbain une structure de territoire fondée sur la présence des éléments de nature.
Un caractère emblématique des paysages côtiers du Morbihan tient au fait que les composantes maritimes et terrestres entretiennent des relations subtiles de recouvrements, de perspectives et d’enchaînements, plutôt que de se côtoyer frontalement [1].
Les enchaînements paysagers, composés par la succession sensible de divers motifs de paysages naturels ou cultivés, représentent ainsi une « valeur de paysage » qui s’oppose aux structurations plus frontales, qui ont tendance à séparer le domaine maritime de l’intérieur des terres.
La loi « littoral » est destinée à protéger de l’urbanisation les portions de côte encore naturelles. Elle permet par le fait de mettre également en valeur les enchaînements paysagers qui constituent les coupures d’urbanisation, depuis le rivage jusqu’aux motifs de l’arrière côte et des paysages cultivés des plaines côtières.
Au-delà de l’aspect protecteur, il est important de noter que ces enchaînements de paysage ont pour effet de « prolonger » à l’intérieur des terres la valeur paysagère de la côte, et donnent ainsi aux espaces qui en sont voisins une réelle qualité de cadre de vie et résidentielle. Il est donc possible de penser un modèle de développement dans lequel ces enchaînements permettent à la fois de respecter la loi littoral, et d’offrir aux projets de développement un cadre paysager de grande valeur directement associé aux rivages.
Ceci suppose : d’identifier les enchaînements paysagers présents et potentiels, ainsi que le réseau d’espaces qu’ils peuvent former, de sorte à construire une armature territoriale fondée sur le paysage
de les traiter, notamment en les équipant de chemins qui permettent d’en jouir et de proposer des parcours de liaisons douces, très agréables et très pratiques en saison
d’y associer le plus possible d’éléments de patrimoine, d’accès aux équipements culturels et publics, et de rabattements sur les transports en commun
de concevoir les zones de développement en fonction de cette armature et du linéaire de contact avec le paysage qu’il propose
de mettre en place les modalités de gestion, dans la mesure où ces enchaînements associent souvent des espaces naturels (estrans, dunes, marais littoraux…) et des espaces cultivés. La pérennité de l’activité agricole en zone côtière pose à ce titre des difficultés, auxquelles le réseau peut apporter certains éléments de réponse, en assurant notamment les exploitations d’une visibilité à long terme et en permettant de ne pas fragmenter les cultures.
Une armature paysagère pour le développement urbain des côtes
Les trois schémas qui suivent illustrent en quoi la structure du développement urbain est à mettre en relation dès sa conception avec la structure du paysage. Ils permettent d’identifier la valeur d’enchaînement de paysages de la côte vers l’intérieur, unissant aussi bien des espaces de nature que des motifs de campagne, pour offrir un cadre de valeur à tous les secteurs de développement et pas seulement au trait de côte.
Des mesures permettent de faire de ces enchaînements non seulement des espaces de valorisation des espaces naturels et des paysages, mais aussi des lieux de pratiques et d’usages mettant le développement urbain « en intelligence » avec le paysage : Mise en place de parcours de liaisons douces
Traitement des franges urbaines en articulation au cadre naturel : filtres, promenades, motifs de transition, mais aussi quand c’est possibles façades urbaines assumées
Mise en valeur sur cette trame des éléments de patrimoine et de certains équipements publics.
Les continuités paysagères, expression de l’unité du territoire
Dans l’exemple ci-dessous, on retrouve une situation fréquente dans le Morbihan : le territoire de terre se trouve « entre deux mers », entre l’océan et une mer intérieure. Si l’on n’y prend pas garde, le développement de l’urbanisation qui suit la logique des routes est amené à constituer un barrage entre les espaces naturels. Une planification est nécessaire et très utile pour ménager des continuités paysagères. Celles-ci permettent à la fois : De maintenir une lisibilité de la situation particulière du territoire,
de donner à voir l’épaisseur du territoire et de son intérêt paysager au-delà du trait de côte,
de développer le linéaire de contact entre l’urbanisation et les espaces paysagers d’intérêt,
d’offrir aux habitants une façon agréable de vivre cette situation en proposant des promenades entre la côte intérieure et la côte océane,
d’ouvrir la possibilité de constituer des corridors écologiques « terrestres » entre les deux espaces naturels marins.
Fermetures du paysage de côte
Dans les exemples qui suivent, les photos montrent des situations dans lesquelles les côtes se trouvent « barrées » ou bouchées par un ensemble de constructions (le plus souvent liées au tourisme) et de végétation (en général des conifères) qui les accompagnent. La côte se trouve alors réduite à un front assez brutal et surtout d’une très faible épaisseur, qui ne permet pas de percevoir les terres qui se développent en arrière. La frontalité est très souvent accentuée par le contraste entre les enduits blancs des bâtiments (datés en majorité des années 1950 à 2000) et le « décor » de conifères très sombre (datant de la même époque) constituant le front de côte.
Les simulations montrent les possibilités offertes lors de la planification : ménager des ouvertures en perspective entre les séquences bâties,
éviter le blanc comme couleur du bâti, c’est la plus voyante des teintes, surtout sur un fond boisé, et cela ne représente pas une tradition contrairement à ce qu’on pourrait croire. L’architecture traditionnelle fait au contraire souvent appel à des matériaux plus sombres.
Constitution d’un réseau d’espaces paysagers
L’exemple de Carnac est très expressif : les « rivières » (ou perspectives ouvertes en lien avec la mer) composent une suite de continuités paysagères de grande qualité, qui déploient le trait de côte sur un très important linéaire. Les secteurs se sont bâtis en arrière du rivage, négligeant la qualité de certains sites (le Pô par exemple, ignoré par les façades alentours). On remarque également, en « arrière » des zones bâties, un remarquable enchaînement de paysages reliant la baie de Plouharnel à la rivière de St-Philibert, et dans lequel s’inscrivent les monuments mégalithiques de réputation mondiale (ainsi qu’un ensemble notable de campings).
Une armature paysagère permet de relier entre elles ces continuités pour former une structure territoriale pertinente, accueillant notamment une action spécifique sur la gestion des terres, l’intégration des campings, et surtout la valorisation des mégalithes dans le contexte d’une liaison douce « dans les terres ».
Les zones bâties limitrophes se trouvent ainsi identifiées non pas « en arrière » de la côte, mais au contraire à proximité d’une structure paysagère et culturelle majeure et aussi valorisante. Le risque est que se présentent ici les « arrières » de l’urbanisation, constituées souvent d’espaces servants peu valorisants ou de pignons aveugles.
Le fait de constituer des réseaux d’espaces offre de nombreux avantages, et peut apparaître comme un atout pour le développement : le déploiement des enchaînements paysagers multiplie les secteurs impactés positivement par un paysage de qualité, par l’accès aux rivages et aux autres paysages plaisants. A conditions qu’ils soient nettement identifiés, équipés, ils peuvent offrir à de nombreux sites un « voisinage paysager » de qualité.
[1] Voir aussi dans la partie "Comprendre les paysages" : Relief et hydrographie à l’origine des grandes structures de paysages.