La dissymétrie de la Bretagne et l’ampleur du cisailement sud-armoricain à l’origine de l’organisation de l’espace du Morbihan
L’organisation des formes du relief structure la perception du territoire à l’échelle du département, et éclaire une part des sensations paysagères éprouvées à l’occasion des grands parcours où s’expriment les effets de contrastes et de seuils.
Le contraste bien connu entre la Bretagne des côtes (l’Armor) et celle de l’intérieur (l’Argoat) prend dans le Morbihan tout son sens et s’exprime avec une forte réalité. En effet, les reliefs des Landes de Lanvaux, orientés parallèlement à la côte, organisent à la fois : un front auquel se heurte l’espace côtier, front que l’on peut percevoir depuis les plans d’eau du golfe du Morbihan ;
une barrière naturelle que les rivières, habituels liens entre les terres et l’océan, ne franchissent qu’aux extrémités du système ;
un espace orienté d’est en ouest. Lorsqu’on s’y trouve, les lignes de crête et le cours des rivières encadrent la perception de l’espace selon une direction qui ne va pas de la terre vers la mer. Il en ressort une certaine désorientation (la direction de l’écoulement des rivières est elle-même difficile à déterminer) qui contribue à séparer, dans la perception, la côte de l’intérieur des terres ;
une ambiance dont les éléments (crêtes boisées, conifères, campagnes rurales) sont brusquement, dès la première crête, très différents de ceux qui font les sensations de l’Armor.
Le territoire départemental est ainsi très nettement découpé en trois bandes parallèles, la bande des reliefs contribuant à éloigner, en termes de perception, la côte et les plateaux situés du centre de la Bretagne.
La Bretagne dissymétrique
Cette structure paysagère départementale se comprend d’abord à l’échelle régionale. Après les mouvements cadomiens et hercyniens qui créèrent le massif armoricain, après une longue phase d’effacement de ces reliefs initiaux par l’érosion, la Bretagne a subi un mouvement de bascule relevant sa partie nord et abaissant sa partie sud.
C’est ce qui explique les différences morphologiques entre le littoral des Côtes-d’Armor aux dénivelés assez importants et les faibles déclivités qui caractérisent le littoral du Morbihan, différence bien visible sur la carte du relief régionale.
Pour les mêmes raisons, la ligne de partage des eaux entre Manche et Atlantique qui suit les limites nord des bassins-versants de l’Oust et du Blavet est repoussée assez loin au nord du centre géométrique de la Bretagne. De ce fait, le Morbihan appartient entièrement au bassin versant atlantique et les principaux cours d’eau traversent le département en s’écoulant vers le sud.
La ligne de crêtes qui joint les montagnes Noires aux versants du lac de Guerlédan conforte cette image d’orientation générale du département vers la mer.
Entre Armor et Argoat, des reliefs alignés originaux
Vers le centre du département, l’orientation générale des versants et des cours d’eau est perturbée par un événement géologique en réalité ancien (hercynien), un jeu de faille appelé cisaillement sud-armoricain, qui se traduit par un alignement des reliefs bien visible sur la carte régionale, depuis la pointe du Raz jusqu’aux abords de Nantes, c’est-à-dire à peu près perpendiculairement à la pente générale nord-sud. Le Morbihan est particulièrement concerné par cette alternance de crêtes et de sillons qui le traversent, dont le processus de formation complexe s’apparente à celui d’un relief appalachien. De plus, le tracé sud assez continu de ce relief linéaire permet de dessiner une limite nette entre les plaines côtières situées quelques mètres ou dizaines de mètres au-dessus de la mer, et l’intérieur du département aux altitudes un peu plus élevées.
Si on observe plus en détail la moitié nord du département, on y distingue un secteur nord-ouest plus élevé, présentant des sommets émergeant à des altitudes de l’ordre de 250 à 300 m, soit alignés (montagnes Noires, versants du lac de Guerlédan), soit plus massifs (sud de Plouray, environs de Ploërdut). Les formes de détail y semblent moins adoucies qu’à l’est. La carte du relief met bien en valeur ces différences de rugosité susceptibles de révéler des paysages plus chaotiques au voisinage des montagnes Noires qu’à l’est du Blavet.
De l’autre côté, le nord-est du département forme un ensemble assez homogène, vaste plateau mollement érodé par un réseau hydrographique dont la hiérarchie est assez lisible.
Au sud de la ligne de fracture, les pentes douces descendent jusqu’à la mer, provoquant le dessin hésitant du trait de côte et des conditions favorables à la constitution de marais littoraux et des mers intérieures caractéristiques au débouché de la plupart des vallées (Blavet, rivière d’Etel, rivière de Crach, rivière d’Auray, golfe du Morbihan, rivière de Pénerf). Seules les deux vallées qui bornent le département à l’est et à l’ouest (Laïta et Vilaine) y échappent en formant des versants plus vifs.
Enfin, à 10 ou 20 km du continent, des déformations inégales et complexes et le jeu de l’érosion continentale puis marine ont permis aux îles (Groix, Belle-Île, Houat, Hœdic) et à la presqu’île de Quiberon d’émerger.
Continuités entre mer et terre
Les faibles altitudes de la plaine littorale donnent ainsi aux côtes du Morbihan un caractère extraordinaire fait d’une incroyable succession de paysages diversifiés suivant une ligne de côte où s’entremêlent les formes de rivages.
La mer et la terre exposent ici des paysages dont l’originalité tient aux hésitations de leurs relations : la mer entre dans les terres par les petites mers (golfe du Morbihan, ria d’Etel, mers de Gâvres, de Penerf…) et par les estuaires, et la terre lance en mer ses presqu’îles et ses îles. Le golfe du Morbihan est comme une expression extrême du phénomène, avec des îles dans une mer intérieure.
Il résulte de ces découpes une succession innombrable de situations, des capacités immenses à générer des « scènes », des points de vue, des surprises, des paysages unissant dans des configurations multiples leurs motifs. Ainsi, plus qu’ailleurs, les côtes représentent des points de vue depuis lesquels on peut observer non seulement l’océan, mais aussi les côtes voisines. Les situations sont très nombreuses, dans lesquelles les côtes apparaissent comme paysages, sans que l’observateur soit nécessairement en bateau.
Entre Les plaines côtières et l’océan qui les recouvre au gré des moindres variations de relief, les fluctuations de la côte qui se jouent aux échelles de temps géologiques reflètent également le mouvement incessant des marées.
Deux fois par jour, la mer recouvre puis découvre des sols dont les matières sont issues de ce jeu même : vases, herbues, élevages d’huîtres… les paysages d’estrans, slikke et schorre qui en résultent palpitent d’une vie incomparable, un caractère subtil et incertain qui tient à une organisation des éléments non fixe et à la ligne du bord de l’eau jamais au même endroit, impossible à cartographier. Associées aux variations de la lumière et même de la houle, les crues et décrues du niveau marin et les courants qu’elles génèrent (le flot et le jusant dans le Golfe) contribuent à produire des paysages « mobiles », aux limites toujours changeantes qui sont un des caractères « emblématiques » du Morbihan.
Une des extraordinaires qualités de ces paysages s’exprime lorsqu’aux paysages des estrans, faits de surfaces de terres et d’eaux, succèdent, subtilement, dans des enchaînements à peine identifiables, les terres cultivées ou les pâtures, parfois encore enrichies par les marais d’arrière-côte si nombreux.
Ces enchaînements sont précieux. Cependant, bien souvent la côte s’est « frontalisée », durcie, par toutes sortes de composantes : enrochements, digues, fronts bâtis ou plantés qui imposent une frontière plus brutale. Les altitudes étant faibles, le paysage de côte se restreint alors au front qui se présente, sans horizon terrestre.
Enchaînements et fronts des côtes rocheuses et des ports
Par contraste avec les marais et mers intérieures, le paysage des côtes rocheuses (peu fréquentes dans le Morbihan) est fondé sur un rapport frontal entre les éléments solides et fluides, que l’on retrouve dans les ports avec le quai, où le marnage s’exprime verticalement et non pas, comme sur les estrans, par les recouvrements horizontaux.
Des perspectives spectaculaires
Lorsque les rivières percent des ouvertures perpendiculaires à la mer et font exister des paysages en profondeur, la côte présente de spectaculaires perspectives dont les qualités paysagères sont en relation directe avec les représentations picturales et photographiques. La présence d’un dégagement central offre en effet une profondeur de champ impossible dans les situations frontales, et permet d’embrasser du regard une partie plus vaste de territoire, situation précieuse dans un pays qui manque de belvédères faute de points hauts !
Ces perspectives-rivières, que symbolise par exemple la rivière d’Auray, permettent à ceux qui en habitent les rives, de se trouver en lien avec le rivage. Cette perspective est comme un prolongement, une indentation dans les terres. Il en existe de plus modestes, mais qui présentent le même type de qualité.
Valeur des continuités paysagères
L’union intime de la terre et de la mer caractérise l’ambiance des côtes morbihannaises. Dans l’organisation du paysage, cette valeur « emblématique » se traduit superbement lorsque les composantes du paysage naturel –les rochers, la mer, la rivière, l’estran, les herbues…- s’articulent entre elles vers l’intérieur des terres, notamment par les marais, et en continuité réelle et lisible avec les motifs des campagnes cultivées –parcelles, bocage-.
Quelques fronts urbains, comme celui du port de Locmariaquer, composent des paysages en « frontalité » sur le trait de côte. Mais les urbanisations plus récentes, composées d’un tissu bâti plus lâche accompagné d’une importante végétation, tendent à « boucher » le trait de côte et le couper de ses relations avec les motifs intérieurs comme les marais ou les cultures.
La valorisation de ces continuités paysagères permet non seulement de maintenir la beauté et le caractère spécifique des territoires, mais elle ouvre également d’intéressantes possibilités d’aménagement, synthétisant paysage, environnement et structuration du développement urbain.
Dans les terres, les différenciations des paysages sont largement dues aux caractères des réseaux hydrographiques.
Le franchissement des reliefs des Landes de Lanvaux se fait fréquemment par des cluses assez marquées.
Ces cluses ne sont pas seulement des curiosités naturelles, elles ont un intérêt à plusieurs titres : pour les reliefs qu’elles provoquent, mais aussi parce qu’elles sont souvent des lieux de passage, des sites privilégiés pour l’implantation de moulins. Près de Saint-Avé, la cluse qui ne correspond qu’à un modeste cours d’eau est à cet égard exemplaire : présence d’un moulin, voie ferrée et routes anciennes passent dans la cluse, s’en écartent le long des courbes de niveau, alors que la route récente (D126 au nord-ouest) semble traverser le paysage en ignorant tout cela.
Car malgré des altitudes modestes (rarement supérieures à 160 m), les reliefs linéaires qui occupent le centre du département forment un barrage que les cours d’eau venant du nord ont dû attaquer ou contourner pour finalement créer un réseau hydrographique particulièrement complexe avec cette particularité morbihannaise qu’il est parfois difficile de deviner dans quel sens se fait l’écoulement. La Claie et le Tarun comme l’Arz et le Loc’h partagent bien la même vallée mais se dirigent dans des directions opposées.
Imperméabilité des sols et densité des cours d’eau
Sur tout le territoire, les roches sont peu perméables et donnent naissance à un réseau hydrographique dense et ramifié. Cette densité, sensiblement plus forte que dans le département voisin des Côtes d’Armor, atteint un niveau assez exceptionnel dans le nord-ouest du département où la nature des roches et l’abondance des précipitations favorisent le ruissellement. Mais du fait de pluies relativement réparties et rarement intenses, les cours d’eau ont un comportement assez sage offrant des fonds de vallées plutôt stables et des paysages réguliers [1].
L’étonnante boucle du Blavet, de l’Oust et de la Vilaine
De part et d’autre du « front » constitué par les reliefs des Landes de Lanvaux, les vallées du Blavet et de la Vilaine apparaissent, par contraste, comme des « perspectives » ouvertes, offrant une continuité lisible entre l’Armor et l’intérieur des terres.
La position de leurs estuaires donne également un rôle de bornage du territoire départemental. Le franchissement assez spectaculaire des vallées par les viaducs est ressenti comme un seuil entre le Morbihan et ses voisins du Finistère et de la Loire Atlantique.
Ce sont également, avec l’Oust et la section du canal de Nantes à Brest qui les prolongent et les raccordent, deux itinéraires navigables. Par la navigation, l’océan pénètre ainsi les terres intérieures. Les chemins de halage constituent un mode privilégié de visite et d’observation des territoires et prolongent les chemins côtiers dans l’Argoat.
Les travaux du canal ont occasionné une étrange figure géographique, puisque les deux voies d’eau en se rejoignant en amont permettent une navigation de Lorient à Redon selon une large boucle avancée dans le territoire morbihannais.
L’océan est le voisin du Morbihan. Selon la bd-carto de l’IGN, le département compte 1000 km de développé de côtes, du fait des découpes complexes occasionnées par l’enfoncement progressif du socle armoricain dans la mer (en temps géologiques) et de la présence des îles. C’est là une limite plus qu’identifiable, puisque les espaces de la côte composent les paysages les plus emblématiques, les plus représentés, les plus fréquentés du département.
Vers l’intérieur de la Bretagne, le territoire est également balisé par des paysages identifiables et particuliers. Les hauteurs boisées des montagnes Noires et de Quénécan viennent borner les limites avec le Finistère et les Côtes-d’Armor, tandis que, vers l’Ille-et-Vilaine, le massif de Brocéliande joue le même rôle très identifié sur le parcours de la RN24 comme un épisode de paysage formant une porte du Morbihan.
Les deux ensembles encadrent la grande continuité du plateau cultivé, et marquent nettement, sur les bords est et ouest, la limite du département.
Dans le contexte tempéré océanique de la Bretagne, le Morbihan présente quelques particularités qui confortent les autres différences physiques internes au département.
Les écarts sont en effet sensibles entre la plaine littorale et les reliefs des Landes de Lanvaux ou les plateaux de l’intérieur.
Sur le plateau de Guémené-Gourin, sans atteindre les niveaux du Finistère (jusqu’à 1500 mm dans les monts d’Arrée), les quantités d’eau recueillies (1200 mm) sont à peu près le double de certaines stations littorales (600 mm à Quiberon).
Sans être aussi contrasté, l’écart de nébulosité assure à la côte morbihannaise environ 20 % d’heures d’ensoleillement de plus que les plateaux de l’intérieur. Le nombre de jours de pluie y est également plus faible (autour de 115 jours par an à Belle-Île ou Quiberon) alors qu’il dépasse 160 jours vers les montagnes Noires.
Ce gradient qui confère aux paysages des ambiances plus ou moins humides est aussi un critère d’attractivité touristique : en été le climat est plus ensoleillé et moins pluvieux sur la côte morbihannaise qu’ailleurs en Bretagne. Même la répartition des pluies y contribue avec une relative sécheresse d’été, plus marquée que dans la plupart des autres secteurs bretons.
Enfin, il faut noter que le vent, assez fort sur les franges côtières situées à l’ouest de Quiberon, est assez faible ailleurs, particulièrement sur une moitié sud-est incluant le Golfe et les reliefs des Landes de Lanvaux qui se trouve de ce fait peu attractive pour l’implantation d’éoliennes.
De manière inattendue et sans que la chose soit d’une extrême importance, les éléments qui constituent une réelle organisation – ou structure - des paysages à l’échelle du département composent également une figure facilement identifiable, notamment en raison de la symétrie des éléments qui se répondent de part et d’autre de l’axe Vannes-Loudéac (les deux rivières navigables et les hauteurs boisées), et des plissements qui lui sont perpendiculaires.
Cette figure est ainsi une sorte de « schéma » des paysages ressentis dans le département, et doit beaucoup aux formes du relief.
[1] Des risques d’inondations existent cependant le long des vallées de la Vilaine, du Blavet, du Scorff et de l’Oust qui sont concernées par des plans de prévention des risques inondations (PPRI) comprenant notamment un certain nombre de zones inconstructibles. Voir le détail sur le site ministériel Cartorisque