La référence des mers intérieures
Cette unité appartient à l’ensemble de paysages de l’Armor morbihannais
Le golfe du Morbihan figure aux côtés de la baie d’Along et de quelques autres dans le « Club des plus belles baies du monde » dont le siège est à Vannes. La beauté du site est ainsi assumée... et annoncée au visiteur arrivant de Rennes par la RN 166. Cette notoriété repose sur des qualités paysagères indéniables, confirmées par d’innombrables images largement diffusées, et par un grand succès touristique.
Le Golfe constitue très certainement un des paysages les plus emblématiques du territoire - il a donné son nom au département - et figure en très bonne place dans les images qui le représentent.
Il fait l’objet d’une attention à la mesure de cette beauté reconnue, ce dont témoigne tout particulièrement le projet de parc naturel régional destiné à articuler le développement du territoire à ses qualités paysagères et environnementales.
L’image du Golfe est aussi imprégnée par une temporalité singulière, ancienne sur l’échelle de temps historique qu’évoquent les nombreux mégalithes, mais très récente sur l’échelle de temps géologique, le faciès du golfe contemporain ne s’étant formé par effondrement que très récemment, au néolithique : les premiers humains vivaient ici dans un autre paysage, un estuaire complexe, mais non encore un golfe.
Il y a de nombreuses manières de définir les contours de ce que l’on nomme golfe du Morbihan. Pour ce qui concerne cet atlas de paysages, il a été choisi de considérer le périmètre au sein duquel sont perçues les ambiances du golfe en tant que plan d’eau et ses limites visuelles. Certains territoires qui lui sont habituellement associés (rivière d’Auray, Vannes, presqu’île de Rhuys…) sont décrits séparément, du fait d’ambiances et de situations singulières.
Cette approche fondée sur la perception du paysage ne préjuge bien entendu en rien de la pertinence des périmètres opérationnels, notamment celui du parc naturel régional.
Le plan d’eau « intérieur » se délimite nettement de l’océan, la passe mesure moins d’1 km de large et forme un seuil très net. Du côté des terres, les limites ne sont pas définies avec autant de précision, mais on les identifie grossièrement à la position des obstacles visuels limitant le plan d’eau, souvent un front boisé et/ou construit. La limite avec la rivière d’Auray n’est pas précise, elle se ressent progressivement au nord de Locmariaquer.
Un territoire en soi
Cette « petite mer », comme le signifie son nom breton, est davantage qu’une mer, un territoire en soi, un pays. Ce n’est notamment pas un horizon marin : à l’exception de la passe donnant sur le large, toutes les vues du golfe ont pour bornage un plan visuel terrestre. Les paysages se déploient dans les relations complexes et très animées entre l’eau et ses mouvements de marée, les fonds de vase plus ou moins découverts, les terres des côtes et des îles souvent indiscernables tant elles se mêlent à l’horizon.
Il n’y a pour ainsi dire pas de reliefs dans le Golfe. Le paysage et son originalité viennent au contraire des relations subtiles entre le plan d’eau et la position des terres. La découpe des côtes et des îles, d’une grande complexité, dessine une infinité de lieux : chenaux, passes, anses, bras de mer, pointes… La terre et la mer sont ici continuellement associées en terme de perception, sans franche délimitation.
Un paysage animé par l’eau
A cette animation s’ajoutent celle des hauteurs de marées et des courants dont les pulsations rythment le paysage comme une respiration. Le flot, le jusant et leurs horaires, leurs décalages entre la passe et le fond du golfe, les coefficients de marée sont ici constitutifs du territoire autant que ses éléments fixes. La présence des moulins à marée atteste de cette double singularité, celle des découpes complexes (ils peuvent barrer de petits bras de mer) et bien sûr des marées.
Les anciennes rivières dessinent des chenaux plus profonds, des lieux de passage plus nets dans la partie Ouest. Ils se distinguent des estrans vaseux, plus vastes dans la partie est et qui découvrent à marée basse des paysages de brillances, de parcs à huitres, d’herbues à zostère qu’affectionnent particulièrement les oiseaux de passage.
Partout, l’eau est animée, travaillée, qu’il s’agisse de l’élevage des huitres, ou de la navigation.
L’ostréiculture fait du Golfe une sorte de paysage d’élevage, animé à marée basse par les parcs à huitres, à marée haute par les piquets qui les balisent, sur les côtes par les ateliers. Bateaux et camions participent de cette animation.
La navigation est elle aussi une marque du Golfe, symbolisée par le Sinagot, bateau photogénique dont l’image est intimement associée au territoire. Les bateaux sont partout : voiliers de plaisance au mouillage ou en navigation, bateaux de passagers en promenade, canoës ou planches à voile en balade… Ceci renforce le plan d’eau comme territoire de vie que l’on peut comparer au réseau des rues d’une ville : le Golfe apparaît comme un pays fédéré par son plan d’eau qui lui offre sa personnalité, son lieu partagé et, pour une grande part, son réseau de communication. Le plan d’eau est également le point de vue le plus intéressant sur le paysage.
Une côte aux composantes multiples
Les côtes ne se distinguent pas toujours avec netteté dans cette géographie horizontale de passages progressifs où les falaises sont rares. Les rivages sont souvent soulignés d’ouvrages maçonnés : murets, perrés, quais qui en assurent l’accès et facilitent la navigation. Mais pour beaucoup d’entre eux, des espaces de marais s’interposent entre terre et mer, paysages d’entre-deux inscrits dans l’hésitation générale et si séduisante du paysage.
On ne rencontre que rarement des espaces de campagne cultivée dans la continuité immédiate des rivages. Pour une grande part, les côtes sont boisées, majoritairement de conifères, pins maritimes et cyprès de Lambert qui forment un front visuel opaque et une limite nette à l’espace du golfe proprement dit.
Sous ces arbres, les côtes du Golfe abritent quantité de maisons individuelles, récentes pour la plupart, venues bénéficier des points de vue sur le plan d’eau à travers un filtre de pins, un des clichés les plus pittoresques du Morbihan. Ce faciès de côte domine nettement les ambiances, notamment de part et d’autre du chenal Ouest. Quelques châteaux prennent eux aussi position sur la côte, comme Truscat à Sarzeau.
Les ports marquent avec davantage de netteté l’urbanisation côtière, associant les infrastructures (quais, cales) aux tissus denses et aux façades assumées, comme à Locmariaquer.
Les mégalithes attestent d’une présence humaine très ancienne. A mi-chemin des marées, les cromlec’h d’Er Lannic témoignent également de l’évolution du niveau de mer depuis leur installation. L’émotion ressentie devant cette très ancienne vie humaine donne à tout le Golfe une intensité culturelle inégalable.
Les îles
Terres inscrites dans une mer elle-même inscrite dans la terre… les îles du Golfe sont comme l’intérieur de ce paysage intérieur : on y va non pas au large, comme à Belle-Ile, mais vers le centre.
L’île aux Moines et l’île d’Arz sont assez grandes et desservies pour avoir fait l’objet de développements urbains importants. Sur l’île aux Moines ne subsiste plus de trace d’agriculture, la vocation balnéaire et résidentielle a nettement pris le dessus, accompagnée par une présence très importante des boisements.
Sur l’île d’Arz fait au contraire, la collectivité recherche des agriculteurs pour y maintenir une activité !
Les autres îles, plus petites, sont souvent peu construites, fréquemment plantées de conifères. On retient évidemment Gavrinis et Er Lannic pour leurs extraordinaires monuments mégalithiques et l’île de Boëdic, célèbre pour son prix de vente extravagant, que l’on peut considérer comme un indicateur de qualité paysagère !
Rien n’est ici ordinaire. Les éléments qui composent les paysages du Golfe, y compris les flux, la vie qu’il accueille, composent un territoire d’une singularité remarquable.
Une perception par le déplacement
C’est en bateau que l’on découvre la beauté de la baie dans les meilleures conditions. Le plan d’eau est en effet le meilleur point de vue sur un paysage qui ne se découvre jamais en un seul panorama. A terre, la découpe très complexe additionne les pointes et les impasses. Chacune d’elles propose d’intéressantes perceptions, mais il faut se rendre de l’une à l’autre pour recomposer une géographie du Golfe. On remarquera que la découpe complexe des côtes fait qu’elle sont toutes en vue d’une autre côte, en perpétuelle inter-visibilité.
En bateau, le territoire se révèle de passe en passe, de plan d’eau à plan d’eau, avec des effets incessants de masque et de dévoilement accentués par la présence des arbres sur les côtes. Cette perception par le déplacement est un caractère du Golfe qui l’apparente à un vaste jardin : les éléments de nature y sont intensément présents et la promenade s’apparente à un spectacle plein de rebondissements.
Un pays très animé
Le Golfe palpite de toutes sortes de vies qui se côtoient : la nature, notamment la vie des estrans symbolisée par les zostères et les oiseaux migrateurs ;
l’ostréiculture qui fait ressentir une sorte de culture marine ;
la navigation, intense et multiple ;
la résidence, permanente ou secondaire, qui a profondément influé sur le faciès des côtes.
On peut regretter que l’agriculture ne soit plus tellement associée, dans les perceptions, à l’ambiance du Golfe, en raison du front boisé et bâti presque continu des côtes.
Le parc naturel régional, un outil vers le projet de territoire où le paysage est pris en compte
Le projet de constitution d’un parc naturel régional (PNR) est désormais bien avancé (l’enquête publique s’est déroulée au cours de l’été 2010). La structure permet aux collectivités et à l’État de partager et de mettre en œuvre un projet de territoire à l’échelle du Golfe intégrant les multiples enjeux qui s’y côtoient (naturels, culturels, économiques et sociaux, touristiques, urbains…). Les qualités du paysage, intimement liées aux interactions entre ces différents domaines, prennent une place importante dans le dispositif et ont déjà fait l’objet d’études spécifiques.
Nous pouvons rappeler ici les principaux enjeux identifiés.
Un territoire exceptionnel dans sa forme et sa « vie » multiple
Les éléments de nature très originaux, notamment les estrans et les marais, forment un milieu particulier à préserver.
Ce qui frappe aussi dans le Golfe est cette vie palpitante à équilibrer en permanence, et où s’expriment de nombreuses activités : ostréiculture, navigation, résidence… chacune contribue à la vie et au caractère du Golfe, mais chacune tend également à influer sur le territoire, au risque de le voir se déséquilibrer.
Un équilibre est à rechercher dans la concertation permanente, de sorte à « co-gouverner » les paysages du Golfe qui doivent leur personnalité dans ce côtoiement très animé.
Au cas par cas, site par site, la place des tables à huitres, des hangars, des mouillages, des espaces de nature est à considérer (pour ce qui est du paysage) en fonction des lieux. Un danger consisterait à trop sectoriser les fonctions, une erreur qui risquerait de s’éloigner du caractère foisonnant des lieux.
On peut regretter que la réglementation impose aux hangars de l’ostréiculture des formes désormais tristement fonctionnelles. Les tables et les piquets animent en revanche plaisamment les plans d’eau et donnent de l’intensité aux variations paysagères entre marée haute et marée basse.
Les mouillages ont tendance à envahir et masquer les plans d’eau mais leur présence assure aussi l’animation… A nouveau, un équilibre est à rechercher en concertation, mais le renforcement des ports à sec semble une bonne piste, de même que la pénalisation des bateaux "ventouse".
Les annexes sont aussi parfois invasives : quand c’est possible, un système de navette à la demande est préférable.
La place du bâti et des conifères
L’analyse a montré la part très importante prise par les zones bâties dans les horizons du Golfe. Régulièrement accompagnés de conifères, les développements urbains souvent peu denses ont désormais atteint une limite dans le linéaire de côte qu’ils occupent et où ils forment des fronts visuels infranchissables.
Quelques pistes d’action pour l’avenir consistent à : valoriser les façades urbaines de qualité comme Locmariaquer en limitant la place des voitures, en soignant la qualité des espaces publics, de l’architecture et des ravalements ;
structurer les futurs développements en fonction de continuités paysagères perpendiculaires à la côte, pénétrantes vers l’intérieur des terres et réseau de paysages valorisants pour les quartiers situés en retrait de la côte, et ne plus construire le trait de côte (soit la contrainte de la loi Littoral et du Schéma de mise en valeur de la mer) ;
concevoir des formes urbaines moins consommatrices d’espace et moins banalisantes que les lotissements de maisons individuelles, adopter des matières et des couleurs moins voyantes que l’enduit blanc des pavillons individuels ;
limiter la place des conifères dans les secteurs non urbains, de sorte à libérer davantage de perspectives.
La place de l’agriculture et des terres voisines
Les terres cultivées sont devenues rares, ont presque disparu des îles et sont devenues peu perceptibles au voisinage immédiat du Golfe. L’agriculture fait pourtant partie de la vie locale, elle est nécessaire à l’équilibre d’un paysage qui ne soit pas juste un décor résidentiel et touristique. En outre, l’agriculture assure des valeurs essentielles des paysages : les dégagements visuels, indispensables pour la perception du plan d’eau dans un contexte qui n’offre que très peu de points hauts ;
les enchaînements paysagers, permettant que se succèdent les espaces de côte et les espaces de terre, si intimement mêlés par la géographie du golfe, et qui doivent pouvoir se ressentir dans une perception commune.
A l’instar de l’île d’Arz, il faut encourager la présence et la vitalité des agriculteurs du Golfe, en s’appuyant au besoin sur les capacités économiques des résidents en mesure de soutenir des productions de qualité auxquelles la notoriété des paysages du Golfe peut apporter une plus-value.
Un repérage des terres abandonnées et non bâties, en friches ou boisées, est à effectuer aux abords du Golfe dans l’objectif de restaurer des ouvertures et des continuités de terre et de mer, de libérer des terres pour les exploitants et des vues pour les promeneurs !
Les conditions de beauté…
En donnant davantage de place aux terres voisines, aux enchaînements, le Golfe peut gagner de nouvelles perspectives nécessaires à un paysage rapidement refermé par les plans visuels verticaux.
La place des conifères peut également, en cette période de « fin de cycle », être reconsidérée à la baisse.
Mais le motif essentiel de la perception de ces territoires, c’est la promenade. Sans reliefs, la découverte se fait non pas sous forme de panoramas, mais en cheminant. Les promenades en bateau restent un moyen idéal de percevoir les paysages du Golfe : développer en été de petits « passeurs » bouclant des promenades à pied, encourager des bateaux-taxis autant de moyens renforçant l’idée d’une « cité de l’eau » qui transparaît parfois dans les ambiances (une cité aux paysages très naturels toutefois !).
Leur réseau des chemins permet de découvrir les côtes mais aussi les enchaînements de paysages dans les terres. Il est à renforcer pour une découverte des rivages, mais aussi dans le cadre de « développements paysagers intérieurs » structurants.
A partir des chemins, la perception des rivages, leur aspect et de là le contrôle de leur évolution doit être considérés. De même, les premiers plans, les dégagements constituent depuis le réseau des chemins des éléments essentiels à la qualité perçue et vécue.
L’accès en voiture nécessite également une attention précise, les voies et les stationnements peuvent déconsidérer les sites mêmes que l’on souhaite desservir. En même temps que les chemins, les accès doivent faire l’objet de programmes et de projets soigneusement mesurés et inscrits dans les enjeux du paysage.
Les mégalithes inscrivent le Golfe dans la mémoire humaine. Certains d’entre eux méritent une meilleure valorisation de leurs d’accès mais surtout de leur environnement immédiat, trop souvent laissé à la friche.
Inscrire les projets dans leur contexte
Tous les projets, tous les éléments à venir nécessitent d’être inscrits dans leur environnement paysager : aménagements routiers et de stationnement, défenses de côte, ouvrages d’art, hangars ostréicoles, bâtiments publics, logements, locaux d’activité…
Dans un paysage aussi exceptionnel, tout compte, chaque motif vient jouer un rôle et se doit d’être à la hauteur du site et de sa beauté. L’approche paysagère de programmes et de projets est ici indispensable.