Rappel des tendances et des évolutions, identification des valeurs et potentialités des paysages ruraux, énoncé de pistes d’action
Si la partie la plus connue du Morbihan correspond à son littoral, la plus grande partie du département est un espace rural aux enjeux particuliers.
Territoire rural, le Morbihan intérieur est l’une des principales régions de production agricole française. Son image est associée à plusieurs univers contrastés : au bocage traditionnel, aux pommiers à cidre et à l’élevage ;
à la révolution agricole des "trente glorieuses" et à ses nombreux effets sur les paysages et sur l’environnement ;
au développement plus récent de la production « bio » qui reprend des motifs traditionnels (pâtures).
Dans les paysages, ces univers se côtoient et se mêlent, et sont fréquemment associés aux motifs des boisements et des espaces naturels. Seuls les paysages du plateau de Pontivy-Loudéac se calquent sur ceux d’une agriculture modernisée, mais il s’agit d’un cas particulier, lié à la qualité des sols. Ailleurs dans le département, la répartition des modes de production et des composantes paysagères qui leur sont liées ne permet pas de distinguer de territoires spécifiques.
Se superposant à un système bocager ancien relativement homogène, les changements des modes de cultures, et les structures paysagères associées, ont été décidés à l’échelle des communes (remembrements) et à celle des exploitations (investissements, contrats MAE…). Aussi, le territoire départemental se présente aujourd’hui davantage comme une mosaïque de situations où se mêlent à la fois les motifs du bocage, de l’élevage traditionnel, encore très sensibles, et ceux de l’agriculture moderne.
A proximité des côtes, l’agriculture est fragilisée par la pression foncière. Les paysages y sont marqués par le phénomène d’abandon des cultures qui, lorsque les sols ne sont pas urbanisés, évoluent rapidement vers la friche, puis le boisement.
Une évolution continuelle des paysages
"Les sociétés héritent de paysages qui ne correspondent jamais exactement à leurs besoins ; elles l’adaptent et le font évoluer tant qu’elles lui trouvent des usages." [1]
Il n’existe pas de continuité entre les paysages d’aujourd’hui et ceux du passé. Les haies médiévales ou modernes ne reproduisent ni ne continuent des structures antérieures. D’autre part, les fouilles et prospections démontrent l’existence de ruptures de paysages, avec des formes nouvelles totalement discordantes par rapport aux formes antérieures (exemple des parcellaires de l’époque gauloise). Cependant, les phénomènes récents, plus qu’une simple rupture entre deux formes de paysages, sont d’un autre ordre : il y a aujourd’hui dissociation entre le produit et son terroir.
Depuis l’époque médiévale jusqu’à la fin de l’époque moderne, les paysages agricoles de l’ouest de la France sont caractérisés par la coexistence de structures de bocage et d’openfield dont les proportions respectives ont varié au cours du temps. La relative stabilité observée jusqu’au début du XXe siècle a été contrariée plus récemment par des dynamiques d’évolutions rapides impliquant une perte sensible de variété dans les paysages agricoles.
Des paysages contemporains fortement marqués par les motifs de l’agriculture intensive moderne
Le mouvement de modernisation de l’agriculture de la deuxième moitié du XXe siècle a profondément transformé les campagnes du Morbihan et a des effets visibles dans le paysage : arrachage des haies bocagères (le réseau continue de se réduire à raison de 0,8 % par an en moyenne), drainage des parcelles, disparition des mares... dans le cadre des grands remembrements. Les structures bocagères, dont il subsiste cependant 35 000 km de haies en 2008, se perdent et le bocage en place n’est plus autant entretenu, les chemins parfois labourés…
multiplication des bâtiments agricoles (stabulations, silos, usines de transformation). Ces "objets", très nombreux, très visibles sur l’ensemble du territoire, sont, le plus souvent, peu ou pas inscrits dans le paysage ou encore maladroitement camouflés derrière des haies de conifères
diminution des surfaces toujours en herbe des exploitations (20,3 % entre 1989 et 2007) et des vergers de plein vent
augmentation des surfaces céréalières (+28,2 % entre 1989 et 2007), et développement des cultures fourragères, notamment du maïs.
augmentation importante des jachères entre 1989 et 2007 et développement des enfrichements par l’abandon des terres inadaptées comme les fonds de vallée ou les landes. La déprise agricole a aussi sérieusement affecté les régions côtières, du fait de la compétition foncière et des contraintes à l’exploitation, induisant un sentiment "d’abandon".
augmentation des plantations de résineux. Ces boisements, présents dans toutes les unités de paysages, sont très visibles notamment sur les crêtes. Le Morbihan est le département breton le plus boisé (108 000 ha en 2008).
modernisation de l’habitat des agriculteurs, développement des maisons récentes et multiplication des maisons individuelles hors contexte, sur de très grandes parcelles, contribuant au mitage des campagnes
perte de la variété de la palette des motifs agricoles : raréfaction des pâtures, des fonds de vallées cultivés, des landes pâturées ou étrépées…
De nouvelles fonctions et attentes dévolues à la campagne : loisirs, environnement, cadre de vie et... urbanisation
L’offre touristique (gîtes, chambres d’hôtes…) et les résidences secondaires se développent dans les terres. La demande d’un cadre de vie de qualité progresse, de même que le celle de promenades et de chemins de randonnée. Cette attente s’accompagne de nouvelles exigences vis-à-vis de l’agriculture qui doit, à la fois, être productrice de denrées, et d’un environnement non pollué et « authentique". Des différences de vue existent donc entre le monde agricole, identifiant à juste titre le territoire comme outil de production, et les attentes des habitants (de plus en plus non agriculteurs) en termes de cadre de vie et éventuellement des touristes, qui rejettent les objets de l’agriculture "moderne" ou leurs nuisances (épandages, proximité des usines de transformation), incompatibles avec l’image de paysages ruraux authentiques.
A contrario, le tourisme peut représenter parfois pour les exploitants une diversification de leurs revenus (hébergement, vente directe).
L’histoire très particulière de l’agriculture bretonne influence non seulement la forme des paysages ruraux mais aussi les regards, les jugements de valeur qui sont portées sur eux. Avec la réforme en cours de la Politique agricole commune (PAC), le moment est propice au rappel des valeurs du paysage rural qui, si l’on y prête insuffisamment attention, risque de manquer son rendez-vous avec les attentes de la société.
Une modernisation de l’agriculture vécue positivement, puis remise en cause
La modernisation s’est appliquée à une Bretagne intérieure stigmatisée par des jugements d’arriération et souffrant d’une situation réelle de pauvreté. La réussite technique et sociale des transformations agricoles, les profondes évolutions des revenus et des modes de vie ont été vécues par les populations comme un progrès réel, jusqu’à ce que le marché, très concurrentiel, ne vienne remettre sérieusement en cause les revenus de l’activité.
Durant cette première période de développement, les transformations et les nouveaux objets du paysage semblent avoir été acceptés sans difficultés en ont pris place dans les sites visibles. La construction de maisons neuves a été, par exemple, un des symboles de l’accès d’un plus grand nombre à un niveau de vie plus décent.
Des réactions face aux échecs
Mais, avec le recul, les effets néfastes de ce modèle agricole productiviste sur l’environnement ont fait émerger aussi des critiques : contestation des remembrements pour leurs effets désastreux sur l’écoulement et la qualité des eaux, le ravinement des parcelles ; rejet de l’élevage intensif pour sa responsabilité dans la pollution des eaux et des sols, dans les mauvaises odeurs, dans la prolifération des algues vertes sur les côtes. Ces prises de conscience sont d’abord d’ordre environnemental avant d’être, plus marginalement, reliées à la dépreciation des paysages. Ainsi, l’étude sociologique [2] met bien en évidence que la défense du paysage est souvent intimement assimilée à celle de la qualité des sols et des eaux.
Des modèles alternatifs
Face aux effets du modèle productiviste, on assiste au développement de méthodes de production plus soucieuses de l’environnement et de la qualité des produits. Ce mouvement progresse régulièrement, encouragé par les Mesures Agro Environnementales de l’Europe. Ces modèles recouvrent aujourd’hui une grande variété de modes de production. Le « système Pochon », par exemple, système alternatif à l’élevage intensif, fait évoluer les méthodes d’élevage et optimise les pâturages.
Dans l’ensemble, les paysages reflètent les hésitations et les diversités du monde agricole. On y voit tout autant les grands silos, les haies replantées récemment, les élevages et les troupeaux au pré, les usines de produits de masse et les petites exploitations "bio" de vente directe…
Une production peu typique
La production agricole du Morbihan est principalement dédiée à l’industrie agro-alimentaire pour la consommation de masse comme... le fromage d’Emmental… Ainsi, le Morbihan n’est pas attaché à l’idée d’un produit du terroir. Hormis l’agneau de Belle-Ile (la beauté du paysage insulaire étant certainement un argument de vente), le cidre Guillevic et la recette de l’andouille de Guémené, aucun autre produit n’est attaché au territoire morbihannais. Le paysage montre l’activité agricole, mais pour des produits qui restent mal identifiés.
A l’inverse, l’image très positive des côtes est délibérément associée à celle de ses productions, notamment les huitres… Là, le paysage est à la fois en cohérence avec ses produits et les valorise. Ainsi, la publicité pour une gamme de produits laitiers (beurre fromage...) fabriqué en Bretagne et commercialisé sous la marque « Paysan Breton » s’appuie sur les images d’un voilier en mer…
La valorisation de la relation entre terroir et production aurait probablement des répercussions positives sur l’image des paysages agricoles.
Les principales valeurs paysagères des campagnes morbihannaises Les vallées non canalisées
Elles souffrent d’un phénomène global "d’abandon" des activités d’élevage qui autrefois les maintenaient ouvertes. Les fonds de vallée sont délaissés au profit des plaines et des plateaux, et se sont fermées par l’enfrichement ou le boisement.
Les points de vue
Ils sont peu nombreux compte tenu d’effets de reliefs peu sensibles. Ils sont en outre fréquemment occultés par la présence des boisements, notamment sur les crêtes.
Les ouvertures et les cadrages
Ils donnent à lire les paysages et peuvent être contrariés par les effets de l’abandon (friches et boisements) ou le mauvais positionnement d’objets bâtis. La visibilité est une très grande valeur, notamment à proximité des rivages. Il est nécessaire d’encourager l’agriculture et de réfléchir à des développements urbains en cohérence avec les espaces cultivés. La municipalité de l’île d’Arz a ainsi recruté des agriculteurs afin de maintenir des espaces cultivés.
Le bocage, emblème des territoires agricoles traditionnels
La Bretagne a récemment été bouleversée par les politiques de remembrement ; on estime à 60% le linéaire de bocage disparu de Bretagne entre 1960 et 1980 (SSCENR, 1999). Le maintien du bocage mobilise aujourd’hui de nombreux acteurs pour divers motifs (nostalgie, utilité agronomique et environnementale, valeur paysagère).
Le bocage est un emblème des paysages agricoles bretons, un motif paysager a priori stable en comparaison des cultures sans cesse mouvantes. Il est devenu un objet du patrimoine, beau et attachant, même si la Bretagne n’a pas toujours été un paysage de bocage.
Le bocage participe à l’équilibre des écosystèmes. C’est un refuge de biodiversité, notamment pour la petite faune ; organisé en différentes strates (basse, haute), ses valeurs biologiques sont spécifiques ; il met en relation différents milieux comme les ouvertures cultivées, les boisements ; il constitue un réseau de continuités biologiques.
Le bocage a une grande utilité agronomique. Le sous-sol morbihannais étant peu perméable, les écoulements se font en surface. La structure bocagère permet de ralentir le parcours de l’eau, d’éviter les phénomènes d’érosion et de drainer les parcelles agricoles. Cette fonction est d’autant plus importante que les risques d’inondations concernent près de 60 des 260 communes du Morbihan.
Le bocage a une grande valeur paysagère. Lorsqu’il est perçu dans son ensemble, le bocage fait l’effet d’une "résille" qui articule les composantes du territoire entre elles. Le bâti, le cultivé ou le pâturé, le boisé, s’entremêlent et s’enchaînent de manière fluide ; il est impossible de savoir exactement où commence et où se termine le réseau bocager.
Le bocage et ses chemins creux sont le support de promenades et de découverte du paysage. Les ambiances très intimes révélées par des cadrages furtifs semblent réservées au seul promeneur dans le cadre d’un parcours à pied ou à vélo.
Le bocage est un lieu potentiel d’invention du paysage autour des communes dont les images sont à forger autant que les futurs projets de développement.
Le bocage est le lieu de prédilection des élevages au pré. Souvent associés au bocage, les prairies et les troupeaux sont constitutifs d’un paysage bucolique très apprécié dont ils enrichissent les composantes. Les contrastes de lumière entre les haies et les pâtures, la présence de l’herbe en hiver, sont des valeurs très positives, à encourager si possible, voire à retrouver, dans le cas des fonds de vallée, des reliefs, des terres près des côtes.
Les réseaux de chemins creux
Empruntés à l’origine pour les besoins de l’exploitation, ils sont aujourd’hui des lieux de promenade et de découverte où "s’invente" le paysage.
Les forêts de feuillus
Les lisières interviennent dans les perceptions lointaines dont elles marquent souvent l’horizon. "Fond de tableau" des implantation bâties, elles nécessitent le maintien de surfaces cultivées dégagées. L’ambiance des forêts de feuillus sont d’un grand intérêt paysager, notamment en raison des lumières raffinées et changeantes que n’offrent pas les boisements résineux.
La variété des composantes agricoles
La modernisation a effacé du paysage les prairies de fond de vallée, les landes pâturées et la plupart des vergers. En revanche, le maïs dont a besoin l’élevage hors-sol, s’est fortement répandu ces 30 dernières années. Il couvre de grandes surfaces et son développement rapide modifie notablement les paysages, qu’il tend à unifier, tout en créant de véritables écrans visuels.
Les pratiques de baignade et de pêche à pied
Ces pratiques du littoral sont mises en danger par la baisse de qualité des eaux de surface et l’augmentation du développement des algues vertes.
Les bâtiments agricoles ponctuent les paysages ruraux du Morbihan, tout particulièrement les éléments nouveaux qui se sont multipliés depuis la révolution agricole de la deuxième moitié du XXe siècle. Par leur implantation, leur volume, leur matériau et leur couleur, ils sont une composante importante du paysage rural dont ils marquent parfois les vues lointaines.
Bien intégrés, ils peuvent contribuer à la mise en valeur des paysages et à l’expression de l’économie des territoires. En revanche, lorsqu’elles ne s’inscrivent pas dans leur environnement, ces constructions deviennent synonymes de « fausse notes » visuelles et de banalisation des paysages.
Le Morbihan possède un bâti agricole ancien d’une grande richesse patrimoniale. Les maisons paysannes et les bâtiments d’exploitation sont les témoins d’une longue tradition constructive. Leurs volumes sont simples. Les matériaux de construction employés d’origine minérale (pierre, terre, ardoise) ou végétale (bois) sont de couleurs mates et foncées.
L’évolution des techniques agricoles induisant une augmentation de la taille des exploitations combinée à l’évolution des techniques de construction ont abouti à la création de nouveaux types de bâtiments et à de nouvelles contraintes. A l’instar des parcelles, leurs dimensions sont beaucoup plus grandes, tant en plan qu’en volumétrie. Ces bâtiments répondent à des critères essentiellement fonctionnels et économiques. Ils sont standardisés et implantés selon des critères utilitaires sans toujours tenir compte du paysage environnant.
Ils expriment aussi dans la modernité de leurs formes efficaces une profonde mutation de l’économie agricole, modernisée depuis les années 60. Leur présence atteste d’une évolution radicale de l’agriculture, et révèle aussi la première place de la Bretagne parmi les régions de production et d’industrie agro-alimentaire.
Souvent construits en métal teinté, ils apparaissent comme des éléments trop clairs et « parachutés », sans relation avec la végétation et les constructions environnantes.
Ces constructions de type hangar ont parfois tendance à banaliser les paysages du Morbihan. Dans certains cas au contraire, leur « gigantisme » et leur visibilité en font des balises paysagères reconnues, comme à Saint-Allouestre.
Rejetés par certains pour leur « modernité », ces bâtiments symbolisent en effet une époque récente, une campagne « reformatée » qui ne correspond pas toujours à une vision partagée des paysages. Nombre de néo-ruraux, de résidents « secondaires » ou de touristes souhaitent au contraire trouver des images de campagne ancestrale que la modernité radicale de ces constructions dérange et qui évoquent les remembrements.
Pour d’autres, ils symbolisent un modèle économique mis en question en raison de ses effets sur l’environnement (y compris olfactif), sur la qualité des produits, ou sur les difficultés sociales qu’il génère.
Bref, ils symbolisent une perception de l’agriculture loin d’être unanime... tout comme sa traduction en termes de paysages.
Rares sont les représentation positive des paysages dans lesquels figurent ces constructions, à part éventuellement certains silos monumentaux. Leur rôle très important dans l’économie ne s’est pas accompagné de leur inscription dans l’image des territoires. Ceci est lié en partie à une recherche insuffisante de cohérence entre les constructions et leur environnement paysager.
Si l’inscription correcte des bâtiments passe par l’œil des « hommes de l’art » et leur capacité à évaluer les situations paysagères, il est fort probable que les conditions économiques ne permettent pas un investissement très approfondi en termes de conception. Aussi, compte tenu d’une acceptation encore limitée et des difficultés à produire de réelles œuvres de paysage, il est préférable de rechercher, pour les constructions à venir et celles qui seront éventuellement réhabilitées, la discrétion paysagère.
Favoriser l’ouverture et l’accessibilité des vallées et des cours d’eau
Les zones humides et les jachères autrefois utilisées comme prairies, sont aujourd’hui difficilement exploitables (machines impossibles et génisses trop sensibles aux parasites)... Néanmoins il est possible de faîre pâturer dans ces zones des espèces mieux adaptées (Salers par exemple). Le long des rivières, il faudrait imaginer des conventions de passage et de stationnement temporaire au bout des exploitations et rendre les bandes enherbées accessibles
Favoriser le développement de réseaux de parcours en lien avec la structure bocagère
Il est nécessaire d’imaginer les possibilités de relations entre les espaces publics des villes et ceux des villages (conventions de passage entre parcelles cultivées...) et d’envisager des partenariats de gestion du bocage (commune, agriculteurs, usagers...)
Améliorer les conditions de lisibilité le long des parcours
Les ouvertures en point haut, souvent boisés, les dégagement des abords routiers sont à favoriser. Il en est de même des lisières forestières, de leur accessibilité et de la variété des ambiances forestières
Intégrer le paysage dans les actions de préservation du bocage
Le bocage est utile à l’agriculture, mais pas seulement. Un nouveau modèle est en permanence à inventer. A travers la notion de néo-bocage, s’ajoutent aux modèles économiques traditionnels, les diverses mesures agro-environnementales développées par l’État et les collectivités (Breizh bocage) qui favorisent les actions de préservation, de gestion et de confortement du bocage. Ces projets (parcellaire, trame) ont tout à gagner à intégrer le paysage (parcours, points de vue, intelligence de la trame bocagère avec les formes urbaines, qualité des ambiances).
Vers un bocage urbain ?
Qu’il soit ou non patrimonial, le bocage est utile, notamment à proximité des agglomérations. C’est une trame territoriale de composition, notamment pour l’articulation ville/campagne, une structure territoriale liée au parcellaire sur laquelle s’appuie un réseau de chemins. S’y ajoutent les fonctions de continuités biologiques et de gestion des eaux de ruissellement.
Les conditions de gestion de ce patrimoine vivant restent en partie à imaginer et si, actuellement, la charge d’entretien du bocage est difficile à justifier économiquement, des pistes se présentent : intérêt des collectivités, en raison des services rendus pour l’eau et les promenades ; bénévolat des usagers promeneurs (sur l’exemple enthousiasmant de la Vraie-Croix) ; valorisation énergétique des produits de coupe.
Développer la typicité des produits agricoles morbihannais
Un paysage est encore plus attachant lorsqu’il est à l’origine d’un produit de valeur, qui identifie un territoire et procure du plaisir… Les produits industriels de masse ne créent pas ces effets. Un attachement local est donc à rechercher du côté des circuits courts de vente qui restaurent un lien entre la nourriture et le territoire, et du côté de produits plus « typiques ».
Quelques exemples de produits à promouvoir :
Filière du sarrasin
En 2008, l’association "Blé noir tradition Bretagne " dépose le dossier à Bruxelles en vue de l’obtention de l’IGP (Indication Géographique Protégée). source : blenoir-bretagne.
Vergers
Les vergers de plein vent ont presque disparu en raison de la baisse de consommation locale de cidre. Souvent à proximité des hameaux ou en frange de village, c’est pourtant un beau "motif" qui ajoute une couleur de plus à la palette des composantes paysagères. Il peut trouver sa place dans les espaces publics, en frange urbaine. On notera également la culture des châtaigniers qui marquent les ambiances dans le pays de Redon qui s’étend dans le Morbihan.
Filière du cidre
La Bretagne produit 40 % du cidre consommé en France. Le modèle "verger basse tige" planté dans les années 1980 est destiné à la production industrielle. En parallèle, il existe des vergers "haute tige" dont la majeure partie de la production est auto-consommée. Le cidre Guillevic, dans le sud Morbihan (Pays vannetais) est une marque renommée. source : lescidresbretons.com )
Elevage
La grande technicité de la filière élevage permet peut-être d’envisager de nouvelles productions, moins industrielles, plus attachées au terroir, de grande qualité gustative… Le succès de l’agneau de Belle-Ile est là pour prouver l’intérêt de ce type de production.
Moduler le renouvellement des plantations de conifères
Les plantations de conifères ont marqué les paysages du Morbihan. Leur présence est partout sensible dans les bois ou les haies (notamment en accompagnement des bâtiments agricoles). Ces plantations, contestables en termes de paysage, montrent que la présence de l’arbre n’est pas une valeur paysagère automatique, et peut au contraire être contre-productive en terme d’image. Ainsi, les conifères "absorbent" la lumière, acidifient le sol et rien ne pousse sous leur couvert !...
Le renouvellement des conifères est donc a priori peu recommandé, sauf dans certains cas particuliers. Les bois de pins abritant les campings de la côte sont, par exemple, devenus des motifs identitaires à conserver.
Quelques exemples et contre-exemples relatifs aux plantations :
Les cyprès de Lambert ont contribué à former le long de nombreuses côtes un « mur » opaque, et à prendre la place de landes côtières très intéressantes. Leur renouvellement n’est pas du tout indispensable dans les secteurs non bâtis, où des ouvertures seraient au contraires utiles.
Gérer différemment la forêt et renouveler les landes
La forêt morbihannaise est la plus importante de Bretagne, mais sa productivité est moyenne, en raison notamment du morcellement de la propriété essentiellement privée. Un regroupement de parcelles pour des gestions collectives serait peut-être plus efficace.
Outre les grandes forêts de feuillus, les bois de conifères sont partout et de petite taille. Leur remplacement n’est pas indispensable au paysage. En particulier, il serait intéressant d’envisager de retrouver des landes quand c’est possible, notamment aux abords des cluses dans les Reliefs des landes de Lanvaux.
Les boisements de pins ou de cyprès composent en revanche un possible cadre pour les habitations légères de loisirs (HLL) et les campings, de plus en plus pérennisés.
Quant aux landes, peut-on trouver une motivation pour les ré-ouvrir ? Les landes agricoles, "pâturées" sont historiques, et correspondent à des usages aujourd’hui disparus. Le cadre des espaces naturels sensibles (ENS) semblerait approprié pour une éventuelle remise en valeur par le rachat de la collectivité (ouverture au public + gestion pâturage par exemple).
Améliorer l’implantation et l’architecture des bâtiments agricoles
Pour inscrire ces constructions dans les paysages où ils prennent place, les associer aux perceptions visuelles globales des sites d’implantation, pour lutter contre la banalisation des paysages et voir apparaître un bâti de qualité adapté aux besoins de l’agriculture actuelle, chaque projet doit faire l’objet d’une analyse du paysage environnant. Cette analyse doit prendre en compte la topographie, le maillage bocager, les volumes en place construits ou végétaux, les vues et co-visibilités ainsi que les connexions aux voies de circulations existantes.
Eviter d’installer les bâtiments en ligne de crête
Cette position expose le bâtiment aux regards, le met sur un piédestal, ce qui n’est pas forcément souhaitable. Il est plus intéressant de positionner un bâtiment parallèlement aux courbes de niveaux et en dessous de la ligne de crête.
Limiter les terrassements
Les remblais importants sont coûteux et toujours néfastes à une bonne intégration paysagère. Le respect du relief est primordial pour une bonne intégration. On peut préférer une implantation sur terrain plat ou à l’abri d’un relief ; une implantation parallèle aux courbes de niveaux à une implantation qui leur serait perpendiculaire, nécessitant de forts remblais.
Respecter la trame parcellaire : implanter le bâtiment suivant ses grandes directions
Anticiper autant que possible les aménagements qui seront nécessaires à terme pour éviter de créer un ensemble rendu trop hétérogène par des ajoûts successifs. Il sera préféré une implantation au plus près de l’exploitation existante afin d’éviter la dispersion du bâti dans le paysage. Le choix du site doit ainsi tenir compte d’une éventuelle extension.
Respecter la disposition des bâtiments existants
La direction du faîtage du nouveau bâtiment, parallèle ou perpendiculaire aux bâtiments existants, permet une continuité. L’agencement cohérent des bâtiments entre eux conditionne la fonctionnalité des espaces.
Tenir compte des points de vue
A partir des voies d’accès et environnantes, la perception du nouveau bâtiment et son lien avec l’exploitation existante doivent être évalués.
Maîtriser le volume des bâtiments
La simplicité des volumes de construction et l’unité de couleur peuvent réduire visuellement l’impact du bâtiment dans l’espace. Les dimensions principales d’un bâtiment agricole (largeur, longueur, hauteur, pente de toiture) ont une incidence sur son intégration dans le paysage. Il n’est bien entendu pas concevable de se référer aux volumétries du bâti traditionnel, trop petit en regard des besoins actuels. Le gabarit du bâtiment agricole contemporain en est d’ailleurs bien différent : la superficie a augmenté de manière très importante tandis que la hauteur et les pentes de toiture se sont fortement réduites. Les dimensions (superficie et hauteur) sont fonction de l’importance du cheptel, des machines, des matières à stocker ou des engins qui doivent circuler dans le bâtiment sans tenir compte du contexte agro-géographique.
Quelques principes élémentaires permettent cependant d’intégrer au mieux la nouvelle activité :
− privilégier une volumétrie simple.
− en cas de trop grande longueur du bâtiment, fractionner le bâtiment en deux volumes, pour obtenir une échelle plus harmonieuse.
− privilégier des pentes de toiture identiques et des versants de même longueur (sauf éventuellement en zone de relief)
− placer les bâtiments de manière orthogonale les uns par rapport aux autres.
− adopter une disposition régulière de la structure et des portes.
Choisir des matériaux adaptés
Le choix de matériaux de qualité pour la construction des bâtiments agricoles est un facteur déterminant pour leur pérennité et pour l’image de l’exploitation agricole.
Les principaux conseils qui peuvent être prodigués sont :
− des matériaux en harmonie avec les bâtiments existants
− une unité de matériau pour l’ensemble des murs
− des teintes neutres : elles sont adaptées au paysage, notamment les teintes de bois et de terre. La couleur verte est un piège : appliquée à certains matériaux, notamment au bardage, elle ne parvient jamais à faire illusion et ne peut être assimilée à du feuillage
− des matériaux « mats », sans reflet brillant sous le soleil.
Utiliser des teintes neutres
Ne pas chercher à imiter les teintes de la nature (vert) car celles-ci varient beaucoup au fil des saisons dans nos contrées : arbres vert tendre au printemps, vert foncé en été, teintes flamboyantes en automne et couleurs de bois en hiver ; prairies vert éclatant au printemps, plus sourdes en été...
Utiliser des teintes plutôt neutres, sombres et mates pour que la construction n’apparaisse pas isolée et étrangère à son environnement. Les teintes grises et brunes de terre et d’écorce, très présentes dans le paysage, sont probablement les plus discrètes. En outre, dans les couleurs plus affirmées, y compris le vert, les peintures sont sensibles au soleil et s’enlaidissent avec le temps.
Préférer des couleurs identiques ou de même tonalité pour les éléments constitutifs de l’enveloppe (façade, toiture, soubassements et accessoires). La coloration des cornières d’angle est une catastrophe paysagère, attire les regards, souligne des volumes souvent peu intéressants, et au bout du compte ne rend pas service.
Améliorer l’insertion paysagère grâce aux plantations
Dans une région marquée par le bocage, l’utilisation des plantations, existantes ou créées, est un bon moyen d’assurer l’inscription des bâtiments dans le paysage.
L’intégration paysagère d’un bâtiment agricole peut partiellement être améliorée par des plantations. Elles permettent d’assurer une articulation entre les volumes d’un bâtiment et ceux du paysage, souvent boisé dans le Morbihan.
Il faut distinguer les plantations dites « structurantes » (arbre de haute tige majestueux, alignement d’arbres, haies…) des plantations « non structurantes » (ou d’accompagnement tels que les bacs de fleurs, parterres, massifs d’arbustes, etc.).
Les principaux conseils qui peuvent être prodigués sont :
− utiliser si possible la végétation existante sur la parcelle ou à proximité, en choisissant d’implanter le bâtiment par exemple le long d’une haie bocagère existante
− éviter les haies de conifères (Cyprès, Thuyas…). Certes, ils poussent rapidement, mais les haies de conifères ont pour conséquence de renforcer l’impact du bâtiment et de banaliser le paysage. L’hiver, elles se repèrent de loin, et apparaissent au bout du compte aussi étrangères au paysage que les bâtiments qu’elles sont censées rendre discret. En outre, ces espèces ont tendance à se dégarnir du pied en vieillissant, et ne jouent alors plus du tout leur rôle d’écran visuel.
− Prolonger autant que possible les structures bocagères pour y inscrire les nouveaux établissements. C’est la formule la plus appropriée.
− Utiliser des essences locales pour rester dans l’esprit du lieu. Choisir des essences locales et variées favorise la reprise ou une croissance rapide et limitera les attaques parasitaires. Pour éviter la monotonie, plusieurs strates de végétaux peuvent êtres associés entre eux : arbres, arbustes, plantes vivaces hautes ou basses...
De nombreux documents pédagogiques sont disponibles à ce sujet, notamment au CAUE 56.
Prémunir le paysage des bâtiments à l’abandon
Les bâtiments abandonnés se multiplient, que ce soit à cause de leur obsolescence ou malheureusement du fait de la crise des marchés qui contraint les exploitants à cesser leur activité.
L’incidence de ces ruines sur les paysages est assez déplorable, non seulement parce qu’elle se traduit par un aspect peu soigné des territoires, mais aussi et surtout parce que les ruines manifestent dans le paysage les effets négatifs du système économique et son manque d’équilibre.
Il serait bien entendu préférable de recycler, ou démolir et nettoyer ces sites, cependant les difficultés économiques du moment sont connues, qui ne le permettent pas forcément, surtout en présence d’amiante. Ceci milite en faveur de la recherche de sites discrets pour les implantations, et de dispositifs d’inscription comme les haies bocagères.
Les nouvelles constructions pourraient aussi prévoir les conditions de leur fin de vie, avec des dispositifs de recyclage des matériaux et des sites.
L’étude menée pour la réalisation de cet atlas n’a pas identifié un paysage rural patrimonial qu’il s’agirait de restaurer. On constate au contraire une vision mêlant les traces d’un système ancien et identitaire aux signes d’une modernisation profonde et en même temps mise en cause.
Les grandes mutations du XXe siècle indiquent la possibilité d’énoncer un projet et de le mettre en œuvre. Un nouveau tournant agricole se présente avec la réforme de la PAC, il est utile d’y inscrire les enjeux du paysage. Les pistes d’action énoncées ci-après sont proposées aux acteurs du projet agricole, elles visent essentiellement à ce que l’agriculture « fasse paysage », c’est-à-dire contribue à la personnalité spécifique des territoires, à leur beauté, à la qualité de vie, à la cohérence de leur image et de leur économie.
Le besoin d’un « beau paysage » ne se limite pas aux sites touristiques de la côte. C’est l’ensemble du territoire, vécu au quotidien comme cadre de vie, qui appelle une attention globale de qualité des perceptions. Et celle-ci peut, en retour, contribuer grâce au tourisme et aux retombées d’une bonne image territoriale, à la prospérité des zones rurales. C’est probablement là une nouvelle modernité qui se présente aux acteurs de l’agriculture, intégrant les enjeux du paysage comme ceux de l’environnement. Mais c’est aussi un enjeu qui engage l’ensemble de la société.
Impliquer l’agriculture dans les projets locaux de territoire au sein d’une approche paysagère
Des outils pour l’intégration du paysage aux pratiques agricoles
L’agriculture touche directement l’image des territoires, la qualité du cadre de vie, les paysages et l’environnement. De nombreuses initiatives encouragent les pratiques favorables à l’environnement et aux paysages : les Mesures Agro-Environnementales (MAE), sont un dispositif majeur de la politique Agricole Commune (PAC). Ce sont des contrats signés entre l’Etat et un agriculteur sur 5 ans, qui les encouragent à la préservation et à la valorisation de l’environnement (gestion extensive des prairies par la fauche, entretien des haies...) [3]
les Orientations Régionales de Gestion et de Conservation de la Faune Sauvage et de ses Habitats (ORGFH), sont une démarche incitative et non contraignante pour la gestion et la conservation de la faune et de ses habitats. Elles mobilisent différents acteurs (chasseurs, naturalistes, forestiers, randonneurs...) y compris les agriculteurs autour d’orientations générales telles que la restauration d’un maillage bocager, la gestion des abords des champs ou encore la valorisation des jachères [4]
Breizh bocage est un programme d’action à l’échelle de la Bretagne initié dans le cadre du contrat de projet Etat-région (2007-2013). Il vise à reconstituer le maillage bocager en créant de nouvelles haies ou en regarnissant des haies existantes. Outre les nombreux bénéfices environnementaux (rôle anti érosif, brise vent, valorisation de la biodiversité, production de bois...) il participe à la restauration de certains paysages [5]
les réseaux associatifs : le Forum de l’Agriculture Raisonnée et Respectueuse de l’Environnement (FARRE) ou le Réseau Agriculture Durable (RAD) incitent les agriculteurs à se mobiliser pour réduire les impacts négatifs de leurs pratiques sur l’environnement et les paysages.
Peu de ces dispositifs visent le paysage explicitement. Le paysage résulte cependant de la totalité des facteurs qui le composent, y compris l’agriculture.
L’échelle des transformations est locale (collectivités, exploitations), et elles sont soumises aux volontés et aux possibilités de chaque acteur et notamment les exploitants et leurs clients. A proximité de l’urbanisation, par exemple, la valeur des structures agraires est collective (notamment le bocage) et appellerait un projet partagé.
La prise en compte de l’agriculture dans les documents d’urbanisme
L’agriculture est trop souvent ignorée par les documents d’urbanisme et inversement, les projets d’exploitation ne prennent pas facilement en compte l’incidence sur le cadre de vie.
L’approche paysagère permet d’envisager une vision globale des territoires, croisant les éléments urbains, de loisirs, d’image, avec ceux des projets agricoles. Un rapprochement des Plans locaux d’urbanisme (PLU) et des aménagements fonciers (héritiers des remembrements), éclairés par une étude paysagère, pourrait par exemple permettre une approche plus concertée, plus cohérente.
A chaque occasion (PLU, plan paysage, voire projet local de type ZAC) l’agriculture est à associer plus nettement, notamment en termes de viabilité des exploitations (foncier, accessibilités), en croisant ces éléments avec ceux d’une approche paysagère (points de vue, parcours, structures et trames). De même, le paysage est à étudier (analyse et propositions) à l’occasion de chaque projet agricole.
[1] Annie Antoine, Le paysage de l’historien : archéologie des bocages de l’Ouest de la France à l’époque moderne, Presses universitaires de Rennes, 2002
[2] Lien à venir vers l’étude sociologique menée en parallèle de l’atlas des paysages
[3] Source : www.agriculture.gouv.fr
[4] Source : www.oncfs.gouv.fr
[5] Source : www.Bretagne.fr